Rencontre ; Chris Tutton, l’héritage Canadien

En mars, on apprenait brutalement que Race Face fermait ses portes, en raison d’une gestion plus que douteuse par son ancien patron Chris Pollack. Il aura fallu attendre à peine deux mois pour que Chris Tutton – qui a travaillé au sein de la marque canadienne pendant quatorze ans – fasse renaître la marque, qui fait aujourd’hui partie de l’histoire du VTT, de ses cendres.

VTT : Race Face a fermé en mars, et à peine deux mois plus tard tu remets la marque sur pied. Comment as-tu réussi ce coup de force aussi rapidement ?
C.T. : Je savais qu’il fallait agir vite. Mon offre auprès de la banque était très saine. Je proposais de l’argent comptant, aucun prêt n’était nécessaire. J’ai mis fin à tous mes investissements antérieurs, j’ai employé tout l’argent obtenu de la vente de ma maison et fondamentalement j’ai mis tout ce que j’avais dans le rachat de Race Face. Si cela ne marche pas, je risque de vivre dans la chambre d’amis de mon ami Laurent pendant un bon moment ! J’ai un très bon ami qui croit en Race Face et dans mes capacités à remonter la marque qui m’a prêté une certaine somme d’argent. Grâce à cela on peut faire tourner la boîte à nouveau sans avoir besoin de faire appel aux banques. Nous n’avons aucune dette et faisons marcher Race Face d’une façon beaucoup plus saine qu’auparavant.

VTT : Quelle a été ta réaction lorsque tu as appris la faillite de Race Face ? T’y attendais-tu ?
C.T. : Oui, c’est quelque chose que je voyais venir à partir de l’instant où j’ai quitté l’entreprise. Tous mes bons clients s’y attendaient également.

VTT : Que va-t-il se passer dans un futur proche concernant les employés ? Tous les postes vont-ils être sauvés ?
C.T. : Nous allons ré-embaucher autant de personnel que nous pouvons et allons maintenir le même niveau de production qu’auparavant ici, au Canada. Cela dit, “l’ancien” Race Face était vraiment très (trop ?) lourd et nous n’aurons pas autant de personnel qu’auparavant. On peut réussir à mieux faire avec moins de personnes, en faisant les choses de façon plus efficace. Aujourd’hui nous avons ré-embauché quinze personnes et je compte en avoir quinze ou vingt de plus dans le mois qui suit.

VTT : Si les produits haut de gamme et carbone de Race Face sont faits en Canada, une partie de la production était faite en Asie. Que va-t-il en advenir ?
C.T. : Race Face n’a jamais eu sa propre usine en Asie. Il y avait juste un entrepôt et un service de contrôle qualité. Nous travaillons avec eux pour acheter leur inventaire et leurs équipements. Notre plan à ce niveau-là est très similaire au fonctionnement de Race Face au cours des six derniers mois de la marque. Les manivelles (alu et carbone) et les plateaux sont fabriqués dans notre usine de Vancouver et continueront à l’être.

VTT : Parlons du futur. Que peut-on attendre de Race Face en 2012 en terme de nouveautés ? La marque sera-t-elle capable de produire toutes les pièces qui ont été développées ?
C.T. : Le futur a l’air bon. Tout le monde ici est très excité. J’investis beaucoup d’argent et de ressources en recherche et développement, en outils, en logiciels et en banc d’essais. Race Face n’investissait pas d’argent pour ce genre de choses durant ces dernières années. Les ingénieurs sont les plus excités, car des projets qui avaient été enterrés peuvent maintenant démarrer plein gaz. Nous dévoilerons des nouveaux produits à l’Eurobike, aussi bien en alu qu’en carbone.

VTT : De nombreuses marques avaient prévu de monter leurs gammes 2012 avec du Race Face, et l’annonce de la fermeture de la marque en mars a complètement bouleversé leur catalogue. De nombreux constructeurs ont dû revoir leurs fiches techniques. Race Face va finalement pouvoir livrer ses commandes ?
C.T. : Nous avons déjà énormément de support de la part de nombreuses marques. Maintenant, il est vrai qu’il est un peu tard dans la saison OEM pour que les marques puissent faire machine arrière, mais les gens essayent de nous aider autant qu’ils le peuvent. Nous allons livrer notre première commande OEM cette semaine à Orange Bicycles, en Angleterre.

VTT : Tu as commencé à travailler pour Race Face pratiquement dès la création de la marque. En 14 ans, tu l’as vue grandir… un peu comme son propre enfant ?
C.T. : Oui, c’est un peu ça ! J’ai passé la majeure partie de ma vie d’adulte à travailler pour faire de cette marque et ses produits une référence dans le VTT. J’ai grandi avec elle et la plupart de mes clients (distributeurs, revendeurs et consommateurs) sont devenus des amis proches dans le monde entier. J’ai grandi à Whistler et dans le North Shore de Vancouver. Le VTT et le ski ont toujours eu une place très importante dans ma vie. Race Face, c’est un peu comme une partie de moi-même.

VTT : Peut-on dire qu’aujourd’hui l’esprit originel de Race Face est de retour ?
C.T. : Oh, c’est bien plus qu’un retour ! Toutes les personnes qui sont revenues chez Race Face sont là parce qu’elles le veulent. Alors qu’on ne peut pas se permettre de payer les meilleurs, beaucoup d’anciens employés sont revenus alors que je sais qu’ils avaient des offres plus intéressantes ailleurs en terme de salaire. D’anciens employés qui ne travaillent plus chez Race Face ont même choisi de nous aider pour relancer la machine. L’appui de tout le monde a été incroyable. Nous allons faire à nouveau de Race Face un endroit agréable pour travailler. En prenant cette direction, je pense qu’on fabriquera les meilleurs produits que l’on ait jamais faits auparavant.

VTT : Après avoir quitté Race Face, tu as intégré Easton. Quelle est ta position exacte au sein de la marque californienne ?
C.T. : Je suis resté à Vancouver et j’ai été embauché par Easton en tant que directeur des ventes OEM, mais j’ai également aidé la marque sur l’aftermarket pour le monde entier. Easton Bell Sports est une bonne compagnie, et Bernie Deoring (le responsable de Chris Tutton, ndlr) m’a énormément appris. Il a travaillé pour Nike pendant plus de vingt ans et a une impressionnante richesse d’expérience dans les ventes et le marketing. Même si j’ai repris Race Face, je vais continuer en tant qu’agent pour Easton Bell Sports. Je n’ai aucune intention de partir et je suis certain qu’ils sont heureux de ce choix.

VTT : Tu continues donc à travailler pour Easton, tout en reprenant Race Face. Les deux marques ont pourtant des gammes assez similaires, au niveau des cintres et potences par exemple. Ne risque-t-il pas d’y avoir de conflits entre les deux marques ?
C.T. : Les gammes peuvent paraître similaires, mais les deux marques ont des focus très différents. Easton est un “poids lourd” sur le segment de la route et des roues, alors que Race Face est reconnu pour ses pédaliers, et ne produit que pour le VTT. Oui, nous produisons chacun des postes de pilotage, mais je pense que les produits sont suffisamment différents pour être complémentaires. Easton Bell Sports a été d’un grand soutien et je pense que nous devrions même pouvoir envisager ensemble quelques projets communs. Easton a connu une énorme croissance depuis que j’ai commencé à y travailler il y a trois ans, et la marque veut évidemment poursuivre dans cette direction. Je suis confiant de pouvoir travailler sur les deux projets en même temps. Je travaille avec une bonne équipe de chaque côté et cela m’autorisera à trouver suffisamment de temps pour couvrir ces deux jobs.

VTT : D’où te vient cette passion du VTT et de son industrie ?
C.T. : J’ai acheté mon premier vrai VTT en 1989, c’était un Rocky Mountain Hammer. L’été je travaillais aux remontées mécaniques de Blackcomb Mountain, à Whistler. C’était bien avant que le bike-park existe ! A la fin de la journée, je prenais les remontées avec mon VTT, puis je redescendais en bas de la station. Je m’arrêtais toujours au milieu de la sortie pour resserrer le jeu de direction fileté, car il y avait trop de vibrations provenant de la fourche rigide ! J’ai toujours été passionné par le vélo et le ski, et j’ai eu la chance de grandir dans un environnement propice à leur pratique. J’ai été embauché par Rocky Mountain pour travailler sur Race Face et le reste – comme on dit – fait partie de l’histoire. C’est ainsi que les choses ont commencé, mais je dirais que ce qui m’a fait continuer et persévérer, c’est les gens avec qui j’ai travaillé, aussi bien chez Race Face que chez Easton Bell Sports.VTT : Comment comptes-tu t’y prendre pour redorer le blason de Race Face ?
C.T. : Nous avons tellement de bonnes choses prévues pour le futur proche que je ne suis pas inquiet. Race Face n’a pas fait faillite à cause de mauvais produits ou d’un manque d’image…

VTT : Quelles ont été les réactions du public à l’annonce de la reprise de Race Face ?
C.T. : Positives ! L’article annonçant que j’avais repris Race Face sur le site Internet Pinkbike a eu plus de 40 000 visiteurs uniques en 48 heures et il y a eu 380 commentaires. La plupart des gens qui ont travaillé avec Race Face me connaissaient et étaient au courant de ma façon de travailler. Je n’avais aucune idée sur le nombre de gens qui allaient réagir à l’article. Lundi dernier j’ai reçu plus de 300 e-mails de clients, de riders, de distributeurs et de personnes de l’industrie du VTT… c’est énorme !