Rencontre : Bastien Donzé, French Touch

Bastien-Donzé
Bastien Donzè (à gauche) avec Benjamin Lacoste
© Sebastian Schieck

Derrière le projet des nouvelles roues Sram Rise se cache un “petit Français », Bastien Donzé. La roue, c’est son truc. Après avoir fait ses armes chez Mavic, il a quitté l’hexagone pour rejoindre Sram il y a trois ans…

De Mavic à Sram

VTT : Tu es resté un peu moins de sept ans chez Mavic. Quels souvenirs en gardes-tu ?
B.D. : Il y a une expression chez Mavic qui dit qu’une fois que tu as le sang jaune (le jaune étant la couleur de Mavic, ndlr), tu le gardes toujours un peu. Mavic est une marque qui fait partie de l’histoire du vélo et qui bénéficie d’un énorme savoir-faire. Là-bas, j’ai énormément appris et j’ai développé cette passion pour le VTT.

VTT : Comment s’est passée la transition chez Sram ?
B.D. : A l’américaine ! Ils ont eu une approche très directe. J’ai reçu un coup de téléphone un après-midi où on m’a expliqué que Sram voulait faire des roues de VTT, et que j’étais le premier sur la liste pour m’occuper du projet. J’étais prêt pour un changement et il n’y avait pas d’évolution possible chez Mavic. Tout était réuni pour changer de vie, et en mai 2008 j’ai signé chez Sram. J’ai quand même eu une année où je suis resté à Annecy pour préparer les papiers administratifs, les visas, etc… J’avais du temps libre le matin, et je bossais en début d’après-midi jusque tard dans la soirée pour me caler avec le rythme des US. En août 2009, nous sommes partis pour Chicago avec la petite famille !

VTT : Changer de vie justement, ce n’est pas quelque chose d’effrayant ?
B.D. : Sur le coup, cela ne m’a pas fait peur. Avec du recul, j’aurais peut-être dû me préparer un peu plus à cette nouvelle vie. C’est un énorme changement personnel. On en avait beaucoup parlé avec ma femme Julie. C’est une belle opportunité, nous avions tout planifié du côté professionnel, mais on était loin d’avoir anticipé l’adaptation et le côté personnel de la chose… On ne s’attendait pas à un changement aussi radical. Sram nous a aidé pour trouver un logement et dans les démarches, nous n’appréhendions pas du tout le changement de vie. Mais une fois sur place, il faut tout oublier et tout réapprendre. Des choses qui peuvent sembler naturelles en France fonctionnent complètement différemment aux US. Je pense à des choses simples comme l’ouverture d’une ligne de téléphone, l’inscription des enfants à l’école ou encore l’achat de médicaments.

VTT : Quelles ont été les plus grosses difficultés que tu as rencontrées lors de ton installation ?
B.D. : Comme je l’ai dit, il faut réapprendre un système totalement différent, sans l’aide de sa famille et de ses amis. C’est peut-être ce qui nous a manqué lorsque l’on a débarqué à Chicago, un réseau social sur qui on peut compter et avec qui on peut échanger, se distraire et se détendre.

VTT : Pas trop dur de s’intégrer aux US lorsque l’on est français ?
B.D. : Il y a deux niveaux d’intégration. A première vue les gens sont très abordables, « friendly » comme on dit ici. Engager une discussion est une chose facile, créer de vrais liens est toutefois plus difficile… En tout cas, c’est plus compliqué qu’en France d’avoir un vrai cercle d’amis. Aujourd’hui, je me considère comme un citoyen du monde. Lorsque je suis aux USA, on m’appelle le Frenchie et lorsque je rentre en France, on m’appelle l’Américain !

VTT : Du rêve à la réalité, y-a-t-il des choses que tu regrettes dans le mode de vie américain ?
B.D. : Le système de santé, qui est définitivement loin d’être au top. Aujourd’hui je me rends compte qu’en France nous avons la chance d’avoir un système très abouti. Les gens qui manifestent ne se rendent pas compte de leurs avantages !

Rêve de gosse

VTT : Entrer chez Sram, partir vivre aux USA, puis à Colorado Springs… Un rêve de gosse qui se réalise ?
B.D. : Même si l’imaginaire américain fascine tous les gosses, les USA n’étaient pas un rêve en soi. Sram l’est déjà plus. Lorsque j’ai rencontré Julie (madame Donzé, ndlr) à la Freeraid aux Gets en 2001, elle s’occupait de l’assistance chez Sram. Je bossais encore chez Mavic. Quand elle me parlait de la marque, je me disais toujours que cela serait intéressant et sympa de bosser pour eux ! Partir vivre aux USA, c’est aussi une expérience super enrichissante pour mes enfants. La troisième est née à Chicago, elle a la nationalité américaine. Mes enfants grandissent avec une double culture et une ouverture d’esprit incroyable pour eux. Je dois remercier ma femme Julie, car avec le recul il y a peu de gens capables de tout abandonner pour suivre quelqu’un…

VTT : L’ambiance de travail à l’américaine est-il si différente de ce que l’on connaît en France ?
B.D. : Ce sont deux univers de travail très différents. Pour un Américain, les Français sont toujours en vacances par rapport aux congés payés. En fait, il s’agit juste de l’intensité des journées de travail qui est très différente. Aux USA, les journées de travail sont plus importantes qu’en France, mais je dirais qu’une journée de travail en France est plus intense et efficace. Le rythme de travail ici me convient beaucoup plus. Les gens sont plus flexibles sur l’organisation et les horaires, si un de mes enfants est malade par exemple je peux m’arranger pour travailler à domicile. On travaille beaucoup quand il le faut, mais on ne fait pas de présence pour rien.

VTT : A quoi ressemble la journée type de Bastien à Colorado Springs ?
B.D. : Je me réveille vers 6h30, puis je m’occupe des enfants pendant une heure. Julie les emmène à l’école et je pars bosser à vélo. Il y a environ 17 km, la plupart sur l’asphalte mais j’ai trois sections en sentiers bien sympa qui me permettent de rouler à VTT. Après une douche, j’attaque la matinée de boulot (meetings, discussions techniques, e-mails, etc…). Environ trois fois par semaine on part rouler entre midi et deux à VTT sur Ute Valley. Cela dure un peu plus d’une heure, mais parfois on peut partir sur des sorties de 35 ou 40 km. L’après-midi, retour au bureau et je rentre à vélo à la maison. Colorado Springs est à 2 000 m d’altitude, ça fait travailler les globules ! Je passe la soirée en famille, sauf si je dois faire une conférence téléphonique avec Taïwan… Ce qui se passe en général tard le soir, décalage horaire oblige.

VTT : Pourquoi ne pas avoir utilisé l’UST sur les nouvelles roues Rise ? Penses-tu qu’aujourd’hui un flap offre des qualités (étanchéité, centrage du pneu, etc…) aussi bonnes ?
B.D. : Venant de chez Mavic, je reste un partisan de la norme UST en terme de fiabilité et de sécurité. Pourquoi ne pas l’avoir utilisée ? Il s’agit d’une question de technologie et de process de fabrication que l’on ne maîtrise pas encore, car il ne faut pas percer le pont supérieur de la jante. On travaille dessus, on a des idées, mais nous avons préféré lancer les premières générations de roues Rise avec un kit de conversion qui présente une alternative fiable et intéressante aujourd’hui.

De la roue, seulement de la roue

VTT : L’avenir de la roue selon toi ? Une roue orbitale sans moyeu par exemple ?
B.D. : La roue orbitale, je ne pense pas car les moyeux et les rayons ont un rôle dynamique à jouer, que ne peut pas remplir une roue orbitale par exemple. En revanche, je suis persuadé qu’à l’avenir on travaillera sur une meilleure intégration de la roue avec le freinage, la transmission ou encore la fourche télescopique. Après avoir bossé pendant dix ans dans la roue, c’est un grand bol d’air d’être chez Sram et d’œuvrer avec des gens différents qui travaillent sur la transmission, le freinage ou encore la suspension. C’est une belle ouverture d’esprit qui apporte forcément du bon. L’aventure des roues VTT chez Sram ne fait que commencer. On a pas mal d’idées et je pense que l’on va apporter pas mal de choses qui vont faire avancer le VTT.

VTT : En tout cas, le rayon tel qu’on le connaît a toujours une raison d’exister ?
B.D. : On peut se prendre à rêver sur l’avenir. Depuis que je suis parti de chez Mavic, je n’ai pas changé d’avis sur l’UST. En revanche, je pense désormais que parfois les technologies traditionnelles sont encore les meilleures sur le terrain. C’est le cas du rayon en acier rétreint qui est le plus performant au roulage, car il apporte du dynamisme et de la vivacité à la roue.

VTT : 26 ou 29 ?
B.D. : Le VTT se cherche encore, il y a des choses à développer. Chaque taille de roue présente des avantages en fonction du débattement, et les qualités des roues de 29 pouces ne sont plus à démontrer. Maintenant, quelle est la taille de roue idéale ? Je pense que personne n’a encore la réponse…

VTT : Et la multiplication des standards, tu en penses quoi ?
B.D. : C’est un casse-tête pour moi car il y a beaucoup plus de variantes. Je serais favorable à une simplification, mais c’est aussi ce qui fait la richesse du VTT, d’avoir des évolutions qui font du bien à notre sport. Il faut prendre au cas par cas. Par exemple, l’arrivée des axes de 15 mm à l’avant n’ont aucune raison d’exister par rapport au 20 mm. En revanche, l’axe arrière en 142 mm est une évolution très positive pour nos VTT ! L’important, c’est que les gens ne s’y perdent pas.

VTT : Quels sentiments as-tu éprouvé lorsque tu as vu ton père franchir la ligne d’arrivée du Roc d’Azur sur un VTT équipé des roues que tu as développées ?
B.D. : Au départ mon père avait juste prévu de passer le week-end avec nous, sans rouler. Et puis il s’est trouvé que j’avais une plaque pour la course du dimanche matin, et qu’il a pris un de nos vélos de tests équipé des nouvelles roues Rise. Mon père roule beaucoup, la semaine précédent le Roc d’Azur il a fait les 60 km du parcours de l’Extreme sur Loue. C’était bon de pouvoir partager ce moment avec lui. Ce n’est pas la première fois qu’il roulait sur mes produits, mais là… c’était différent. Je ne me suis jamais autant impliqué personnellement sur un projet que chez Sram avec les Rise. Pour tout te dire, je n’ai jamais autant flippé avant de faire une présentation à la presse. Je prends le jugement de façon personnelle, car il y a beaucoup de moi-même dans ces roues… C’est quelque chose de très spécial pour moi.

VTT : Un peu comme un nouveau bébé ?
B.D. : Oui, mais je suis « juste » le chef produit, celui qui donne la direction. Ces nouvelles roues sont le fruit du travail de toute une équipe dont je suis juste un membre. Il y a des ingénieurs hyper passionnés et impliqués qui ont développé le produit.

VTT : Allez, la question bonus… Dans dix ans, tu te vois toujours vivre aux US ?
B.D. : Lorsque j’ai emménagé à Annecy, je me voyais passer le reste de ma vie là-bas. Aujourd’hui, je vis à Colorado Springs. On ne sait pas ce que la vie nous réserve !