Specialized Epic Evo Comp : un vrai EVO

Il y a un peu plus d’un an, Specialized introduisait l’esprit Evo sur sa pure machine chasseuse de chrono, l’Epic. Pour autant, il laissait un goût d’inachevé. Pour ce millésime 2021, l’Américain a fait les choses autrement, et ça marche. Ça marche même très fort !

DR. B. Lacoste

Prix: 4499 € | Poids : 11,7 kg taille M ; 4,35kg les roues| Déb. av. 120 mm | Déb. ar. 110 mm / Pratique : randonnée sportive, compétition, vallonné

On connaît la capacité de Specialized d’innover, certains diraient surtout à grands coups de marketing, nous sommes beaucoup plus pondérés sur ce point. Qui a été la première marque généraliste à croire dans le tout-suspendu ? Qui a été le premier constructeur à parler d’enduro au point de créer une icône qui aujourd’hui reste la référence ? Je vous engage à lire notre essai du nouvel opus dans ce numéro d’ailleurs. Qui a été le premier à expliquer à marques de suspension comment on pouvait faire automatiquement la précontrainte d’un amortisseur ? Qui a été la première marque à montrer à un fabricant de fourche que l’on peut lutter contre le pompage par une « simple » valve à inertie ? Qui a été le premier constructeur à intégrer dans son tube diagonal un logement de rangement pour tous ses accessoires ? Et je ne parle là que de la partie vélo, car côté équipements, Specialized est tout aussi novateur.

Aujourd’hui Specialized lance sa XXème génération de son vaisseau amiral, l’Epic, celui qui incarne la vitesse, la performance, le rendement. La bête de cross-country chasseuse de podiums. Nous vous en avons fait toute la lumière le mois dernier, donc, nous n’allons pas nous étendre sur la longue fiche descriptive. Retenez surtout que pour 2021, le Brain est toujours d’actualité. Pour rappel, le principe du Brain est simple. Il s’agit d’une petite masselotte qui va fermer le système hydraulique l’amortisseur arrière, la suspension est alors bloquée, tant qu’elle ne reçoit pas un choc venu du sol. Dans ce cas, elle va libérer le système hydraulique et la suspension va fonctionner. Il a été encore une fois de plus optimisé notamment dans sa capacité à se faire plus discret dans son déclenchement (une nouvelle clapetterie interne revue permettrait un flux d’huile moins turbulent pour une performance plus constante coup après coup), mais surtout dans sa localisation. Non seulement les ingénieurs ont réussi à déplacer l’étrier de frein arrière entre la base et le hauban pour réduire son incidence sur la suspension lors des freinages, mais en plus ils ont pu placer au plus près du moyeu arrière le système Brain. Il n’a jamais été aussi proche du point d’impact ressenti d’un choc, un enjeu clé pour un fonctionnement performant.

Du côté du cadre, l’Epic n’est pas en reste puisque si le triangle arrière ne progresse pas tant que cela (même si Specialized annonce 15% de rigidité en plus), la partie avant est elle complètement repensée pour gagner encore de précieux grammes. De quoi afficher le cadre dans sa version S-Works, c’est-à-dire réalisé avec la fibre de carbone la plus haut de gamme, Fact 12m, à 1869 g, soit quasiment le même poids que celui de l’année dernière mais avec les évolutions technologiques qui demandent plus de matière. Le cadre en fibre FACT 11m, donc tous les autres Epic, est annoncé à 1947g ! Le plus visible se situe au niveau de la jonction tube de selle/tube supérieur. Exit le double pont, désormais, c’est en prise directe. Et l’Evo dans tout ça me direz-vous ? Justement, j’y viens !

Episode 1 : un vrai Evo

Alors qu’il avait fallu attendre près d’un an après le lancement de la dernière génération d’Epic, pour voir apparaître une version Evo, cette fois, c’est dès son lancement que Specialized a décidé de proposer une version plus agressive. Et cette fois, pas d’usurpation d’identité. Les ingénieurs ne se sont pas contentés de mettre une fourche en 120 mm, des gros pneus et une tige de selle télescopique sur un Epic. D’ailleurs, si la géométrie était intéressante, l’association avec une cinématique très orientée XC compétition en raison d’un Brain castrateur, ne nous avait pas semblé pertinente. Cette fois, l’Epic Evo est un produit unique, pas une déclinaison. Bon d’accord, il partage le triangle avant avec la version de cross-country mais c’est tout ! Il dispose d’un triangle arrière spécifique. Au passage, son débattement arrière augmente, sa course passant de 100 à 110 millimètres. A l’avant, il reçoit une fourche en 120 mm de débattement, histoire d’équilibrer tout ça.

Episode 2 : une géométrie agressive mais pas trop

La force de cet Epic Evo, c’est que contrairement à un YT Izzo par exemple dans le côté extrême, et du Trek Top Fuel dans le sens inverse à savoir trop sage, il a pris le parti de rester un bon élève doué dans sa géométrie. Certes elle est bien plus agressive pour pouvoir jouer les délurés dans la pente, ou rassurer les crosseurs marathoniens qui ne sont pas à l’aise dès qu’ils attaquent des descentes techniques, mais rien d’extrême qui pourrait effrayer au premier abord. C’est aussi pour cela qu’il ne demande pas un bagage technique, ou un diplôme de pilotage pour prendre de plaisir à son guidon. Avec ses 66,5° d’angle à l’avant, associé à une fourche de 44 mm d’offset, le vélo reste contrôlable dans les descentes, d’autant que son boîtier est juste bas comme il faut, et que les manivelles ne viennent pas s’écraser au sol à chaque fois que l’on pompe sur le vélo pour mieux jouer avec les irrégularités du sol. Le triangle avant n’est pas non plus super long avec lonnnnnnng reach. 590 mm de tube supérieur avec un reach de 440 mm, le tout associé à une potence de 60 mm, voilà que mon mètre soixante et onze se trouve parfaitement posé sur ce taille M. Seul regret, le tube de selle à 74,5° impose de mettre la selle sur l’avant pour parfaitement dérouler la jambe, notamment en montée. Pour le coup, un poil de déception, mais un pilote un peu plus grand ne devrait pas avoir ce souci. Vous noterez que je ne vous parle pas du flip-chip situé au pied de l’amortisseur, qui est spécifique au Evo. Il permet de modifier la géométrie en ajustant l’angle de direction et la hauteur du pédalier. En fait, ici l’incidence est tellement faible sur le vélo que c’est le plus ouvert qu’il se roule. Donc on oublie volontairement ce passage. Par contre, un mot sur l’agilité du vélo. Si l’avant offre une très bonne stabilité, l’arrière a une autre mission : celle de vous faire tourner dans un mouchoir de poche, de vous donner cette impulsion au démarrage, du punch dans les accélérations, mais surtout et quel kif, de vous permettre de lever la roue avant à la sortie de chaque virage pour la replacer dans la courbe suivante. Voire même de faire ce lever de roue pour juste absorber de la roue arrière, en pompant sur les pédales ce qui se dessine comme une vague en approche de votre proue ! 438 mm de bases pour un 29”, c’est jouissif dans le pilotage, mais ça apporte toutefois son lot de méfiance. D’abord, attention à ne pas trop forcer le geste lors d’un bunny-up, ou lors d’un déclenchement d’un wheeling, vous risquez de vous retourner. Mais aussi, dans les virages serrés en côtes, entre votre poids qui tend à vos déporter vers l’arrière et les bases courtes, il faudra rester vigilent au décroché de roue avant. Notre astuce : ne pas hésiter à baisser de quelques centimètres la très vaillante tige de selle télescopique X-fusion Manic. D’autant que la facilité de mise en action avec cette gâchette très ergonomique fait que le geste est naturel. De quoi passer la difficulté sans encombre.

DR. C. L

Episode 3 : (enfin) plus de Brain

C’est certainement la meilleure chose que Specialized a fait sur ce vélo : choisir une nouvelle cinématique de suspension qui se passe de Brain. Enfin une suspension libérée qui distille un doux parfum de confort ! Les ingénieurs ont donc dû introduire des caractéristiques anti-squat supplémentaires à la cinématique pour garantir une capacité de pédalage accrue de l’Evo. Si le vélo pompe un peu sur le plat, en revanche en côte, plus vous montez les dents à l’arrière de la cassette, plus la suspension arrière se raidit. On perd un peu en motricité, le contact avec les racines se fait plus franc, mais on ne dénote quasiment pas de pompage, et finalement beaucoup moins de tension de chaîne que sur le YT Izzo. Ça tombe bien parce que l’Epic Evo aime expédier les montées, et tout ça sans jouer du blocage de son amortisseur. On a même du mal à se dire que le vélo fait plus de 12 kg en ordre de marche tant il se rapproche d’un crosseur dans ces segments. C’est d’ailleurs très surprenant d’avoir ce sentiment de ne rien avoir entre les jambes quand ces sensations sont généralement réservées à des vélos sous la barre des 10 kg. Bon, il faut dire quand même que le cadre du Epic Evo est plus léger que celui du Epic S-Works, peut-être une piste…

Episode 4 : mariage de suspension

Proposer une suspension arrière digne de ce nom, et surtout en adéquation avec l’appellation Evo, n’est pas chose aisée. Certes l’absence sur Brain facilite le travail mais il a fallu quand même repositionner les points de pivot de la biellette, et revoir le setting de l’amortisseur. Le résultat est surprenant à l’arrière, puisqu’ils ont réussi à trouver le bon tempo entre le moment où la suspension doit rester souple pour donner du confort et se durcir pour ne pas engloutir le débattement sur chaque choc. En l’occurrence, l’Evo se vit avec 30 % de précontrainte (180 psi pour un pilote de 75 kg) et une détente au trois-quarts ouverte. Dans ces conditions, elle est capable de miracles, mais impose à l’avant de suivre le rythme. La SID avec ses gros plongeurs de 35 mm est clairement à la hauteur du programme. Cependant deux reproches s’imposent d’eux-mêmes. D’abord, même sans cale dans la chambre d’air et avec 80 psi, soit un peu plus de 20% de précontrainte, il est super difficile d’atteindre les 120 mm de débattement promis. Alors, quelque part, c’est intéressant parce qu’elle permet de rester haute, même dans la pente, ce qui rassure le pilote, mais il faut le savoir. Ensuite, en terme de compression hydraulique, il faut reconnaître que la SID Select+ est aux abonnés absents. On sent bien que RockShox maîtrise l’air, mais côté hydraulique… Il faut impérativement mettre trois clics de compression pour que la fourche ait du répondant dans les changements d’appuis, ou les appels avant les sauts par exemple. Heureusement, la plupart du temps, elle reste confortable et lit parfaitement le terrain.

Un mot sur l’ensemble du cadre. Si l’avant offre une juste rigidité qui permet de bien jouer avec sans que vous ne le payez par des courbatures le soir venu, l’arrière et sa jonction avec le triangle avant offrent un autre visage. Il distille une juste souplesse qui permet au vélo d’être tolérant dans les virages en appuis, bien secondé par une paire de roues au comportement bluffant. On peut même presque dire que c’est la première fois sur un vélo « d’ entrée de gamme » que le train roulant n’est pas une contrainte. Bon, les pneus ont tendance à jouer de la glisse latérale, mais l’ensemble est plus que cohérent. Le rendement est là, c’est rare pour être noté.

Episode 5 : ses petits défauts

On a beau s’appeler Specialized et penser à plein de choses qui facilitent la vie, il reste au moins un point sur lequel les ingénieurs ont oublié de s’attarder : la direction. Entre la colonne de direction de 100 mm et la fourche de 120 mm plutôt haute, le poste de pilotage doit être placé relativement bas pour être bien posé. En l’occurence, juste un centimètre au-dessus du jeu de direction. Dans ces conditions, la manette de changement de vitesse vient au contact du tube supérieur lorsque vous tournez le guidon au risque de l’endommager, que ce soit sur une chute, ou lorsque vous chargez le vélo à plat dans le coffre de votre voiture (sans sa roue avant bien sûr). Il manque donc un blocage de direction comme le proposent aujourd’hui plusieurs marques (Trek, Canyon, etc…). Autres griefs, les poignées de guidon sont beaucoup trop fines. Difficile de bien tenir le vélo dans ces conditions. Enfin, il y le frein arrière. Difficile de faire passer un 4 pistons, surtout lorsqu’il faut le placer sur la base pour réduire son incidence au freinage. Du coup, il a fallu excentrer le hauban arrière gauche qui part loin vers l’extérieur. Résultat, ça frotte souvent avec les pierres dans les passages serrés. En attendant les étriers Flat Mount à 4 positions, il va falloir jouer du sticker épais pour protéger le cadre…

Episode 6 : un bon coup !

On pourrait se dire que prendre le premier prix d’un Specialized Epic Evo, c’est-à-dire la version Comp à 4500 € tout de même, serait une erreur, et pourtant… Pourquoi dépenser plus ? Vous avez là tout ce qu’il vous faut : un cadre plus léger que l’Epic XC S-Works, une paire de roues très surprenante qui affiche seulement 4,35 kg en ordre de marche (pneus montés tubeless, disques etc…), et un ensemble freins et transmission Shimano SLX qui fonctionne, ma foi, plutôt assez bien. Sans compter que l’ensemble est clairement valorisant puisqu’au départ nous avons cru nous être trompés lors de notre commande auprès de Specialized en déballant le vélo, pensant avoir entre nos mains la version Expert. Non, clairement, inutile de dépenser plus. Cette version Comp est clairement une très belle surprise à tous les étages.

Caractéristiques

FICHE TECHNIQUE : Tailles : S, M, L, XL – Modèle d’essai : M – Cadre : carbone Fact 11m – Fourche : RockShox Deluxe Select+, déport 44 mm – Amortisseur : RockShox SID Select+ – Freins : Shimano SLX M7120, 4 pistons, Ø180/160 mm – Dérailleur arrière : Shimano SLX 12 vit. – Pédalier : Shimano SLX, 32 dents – Commande : Shimano SLX – Cassette : Shimano SLX, 10-51 dents – Roues : Jantes Specialized Alu, 25 mm ; moyeux Shimano MT400/MT510 – Pneus : av. Specialized Ground Control, Gripton, 29×2.3 ; ar. Specialized Fast Trak Control, Gripton, 29×2.3 – Potence : Specialized XC, 60 mm – Cintre : Specialized minirise alu, 750 mm – Tige de selle : X-Fusion Manic, 125 mm, Ø31,6 mm – Selle : Body Geometry Power Sport CrMo – GEOMETRIE Taille M : Tube supérieur : 590 mm – Tube de selle : 435 mm – Angle de direction : 66,5° – Angle de tube de selle : 74,5° – Bases : 438 mm – Empattement total : 1168 mm – Hauteur de boîtier : 337 mm – Reach : 440 mm – Stack : 610 mm.

Distributeur : Specialized France, Contact : www.specialized.com

Notes

Rendement : 4

Confort : 4,5

Maniabilité : 4,5

Stabilité : 4

Prix/Equipement : 4

TOTAL : 16,8/20

On aime : Rapport plaisir de rouler/prix • Confort • Sensation de légèreté au pédalage • Cinématique de suspension

On regrette : Poignées trop fines • Absence de blocage de direction • Demande un peu de temps pour trouver l’équilibre des suspensions