Le Jura Suisse : roues libres chez les Helvètes

En Suisse, c’est bien connu, pas de place à l’improvisation ! La fondation Suisse Mobile a pris le balisage des itinéraires VTT à bras le corps, sortant du néant 3 300 kilomètres de chemins et de sentiers. Infaillibles, tirés au cordeau, ces parcours ont tous la minutie et la précision d’une horlogerie suisse…

Nous avons donc jeté notre dévolu sur l’itinéraire n°3, au cœur du Jura suisse, un itinéraire qui a la bonne idée de se hisser sur les hauts plateaux des Franches Montagnes, vers La Chaux-de-Fonds. Avec de vastes prairies baignant dans un horizon laiteux et des collines douces hérissées de sapins géants, ce parcours montre le Jura sous son plus beau jour. Un profil assez débonnaire le destine à toute personne en âge de pédaler. L’aventure commence à Delémont, capitale de la république et canton du Jura. Avec ses 12 000 habitants environ, Delémont n’a rien d’une grande ville. Tant mieux car la visite de la vieille ville à VTT est particulièrement agréable. C’est d’autant plus vrai que les Suisses ont un immense respect pour les cyclistes, une particularité à laquelle nous autres Français ne sommes guère habitués !

La balade à VTT, entre ruelles médiévales et échoppes rustiques remplies de couteaux suisses, permet de s’approcher de quelque chose qui ressemble à la Suisse profonde. Une Suisse secrète, rurale, empreinte d’histoire et très attachante. Tariche, l’étape du soir, est situé au coeur de la réserve naturelle du Doubs. En Suisse, le Doubs coule en eaux pures, à l’abri de tout soupçon, et se traverse grâce à un bac ancestral, longue barcasse plate en bois actionnée, pour nous, par une Suissesse affable et sympathique (comme d’ailleurs la plupart des Jurassiens). Trop confiant ou à cause du bois trempé, Bruno, pilote du Kern, rate son entrée dans l’embarcation et manque de finir dans le Doubs ! Pour se consoler, il se laissera tenter par la spécialité du pays : la truite pêchée dans le Doubs, un poisson que les Suisses accommodent avec beaucoup de talent.

Les 28 itinéraires fraîchement balisés sont une invitation à la quiétude

Le parcours du lendemain – 29 km pour 900 m de dénivelé jusqu’à Saignelégier – reste dans l’ambiance du jour précédent : pas de montées sévères ni de descentes périlleuses. La sérénité suisse là encore. Il emprunte quelques portions de route goudronnée mais nous ne croiserons pas un seul véhicule motorisé. L’intégralité du parcours est jalonnée d’imposantes fermes suisses. Elles sont pourvues de gigantesques toitures pour recueillir l’eau de pluie car, de façon très curieuse, l’eau manque dans ce climat humide des Franches Montagnes. Avec près de 1 500 mm de précipitations par an, la région est bien arrosée. Mais du fait de la perméabilité du calcaire, les sources manquent cruellement en hauteur, si bien qu’il fallait recueillir l’eau grâce aux vastes toitures et la stocker dans des citernes avant l’installation de stations de pompage. Ces fermes ont une rigueur toute helvétique… Rien ne dépasse. Même le tas de fumier semble contenu ! Peut-être un réflexe dans cette région championne de l’horlogerie. Après des années de morosité, la grande horlogerie suisse issue des Franches Montagnes a repris du service. Dans ce monde rural, des petites usines produisent des montres d’une grande valeur et d’une technologie extrêmement aboutie. Certains exemplaires valent des centaines de milliers d’euros et sont exportés dans le monde entier, notamment au Japon où les investisseurs se les arrachent. Cette industrie est devenue incontournable dans le paysage économique du Jura suisse.

Saignelégier est le chef-lieu des Franches Montagnes. Cette bourgade paisible offre une atmosphère agréable, même si nous sommes loin de l’ambiance très rurale et des vieilles pierres de Saint-Ursanne. Principale manifestation du canton du Jura, le marché national de chevaux attire chaque année des dizaines de milliers de spectateurs. Un bistrot sympathique et original jouxte ce marché et sert une excellente bière sur la musique des Strokes et des Sex Pistol. Méfiez-vous du Suisse qui a l’air de dormir : à l’intérieur, ça bouillonne ! A une altitude d’environ 980 m, la commune de Saignelégier possède deux marais : l’étang de la Gruere et l’étang des Royes La Gruère. Situé hors itinéraire, ce dernier mérite néanmoins qu’on s’y arrête. Crapauds, tritons, salamandres et sphaignes peuplent ce joli marais protégé. La zone autour de l’étang est une tourbière formée il y a 12 000 ans. En 1980, le gouvernement du canton du Jura a placé l’étang sous la protection de l’Etat, en le transformant en réserve naturelle.

De Saignelégier à la Chaux de Fonds, vous découvrirez la Suisse autrement…

La Chaux-de-Fonds est la dernière étape de ce périple. L’itinéraire traverse des forêts et de longs plateaux solitaires parcourus par des chevaux au galop. Cette fois, l’étape est plus ardue avec un point haut situé à près de 1300 m. Nous traversons des bleds solitaires aux consonances étranges (Le Cernil, les Breuleux…) avant d’atteindre le Mont Soleil à 1 300 m. L’horizon s’enrichit de gigantesques éoliennes installées sur la montagne du Droit, près de Saint-Imier. Sachez que le Jura bernois abrite l’un des plus grands centres d’énergie renouvelable d’Europe. Nous longeons une étonnante centrale électrique solaire. La centrale solaire du Mont Soleil sert de terrain d’essai pour les nouveaux développements du photovoltaïque et préfigure peut-être le monde de demain… Nous dénichons un joli single qui se faufile jusqu’à La Chaux-de-Fonds. Nous dévalons ainsi d’une traite, jusqu’à la ville, un sentier étroit, caillouteux, vif et entrecoupé de jolies épingles. Le Kern trouve enfin un terrain de jeu à sa mesure !

! La Chaux-de-Fonds contraste avec les villages précédemment rencontrés. La ville fut entièrement détruite par un incendie en 1794 et reconstruite sur le modèle américain, selon un quadrillage : toutes les rues sont parallèles et forment des angles droits. Elle fut conçue selon le système, très en vogue à l’époque, du “Sonnenbau” (construction en direction du soleil). Si la vie y semble plutôt paisible, les déplacements à VTT se font dans les meilleures conditions possibles.
Ce Jura bike révèle une inconnue mystérieuse pour les vététistes : le Jura Suisse. Situé à des altitudes comprises entre 700 et 1 300m, cet itinéraire traverse la vallée du Laufon, la vallée du Doubs et le pays de Saint-Ursanne et propose du cross-country pur à la portée de tous les mollets. A trois heures de Grenoble, le dépaysement est assuré dans un pays qui consacre un argent et une énergie considérables au service de la petite reine.