Allier : Les Monts de la Madeleine

En hiver, pas facile de trouver un endroit pour rouler. La montagne ? Trop de neige. La plaine ? Trop morne. Il reste un entre-deux peu visité au cœur d’une France profonde et méconnue, aux frontières de l’Auvergne. Cela se passe à 1 000 m d’altitude, entre Vichy et Roanne, sur les Monts de la Madeleine.

«Chassez le naturel, il revient à vélo», disait Achille Chavée, grand manitou du surréalisme belge, bien connu pour son humour décapant.
Le VTT, Patrice ne le découvre pourtant qu’en 1999. Il possède alors un Giant semi-rigide offert par ses collègues de bureau. Pas de quoi casser trois pattes à un canard mais suffisant pour déblayer le terrain… Après des années de recherche, de lecture de cartes, il crée, sous la houlette de la FFCT, la base VTT des Monts de la Madeleine. Au programme : 6 longs parcours balisés, avec des variantes, sur plus de 140 km de circuit. L’ensemble est très typé XC et on sent, bien entendu, l’influence de la route. En cette fin de saison, alors que l’hiver se fait une place de choix dans la forêt endormie, ce n’est pas si mal de faire tourner les jambes et de se la jouer crosseur…

Ici, pas un bruit, pas une voiture…

Sous un ciel de carbone, nous établissons l’itinéraire avec Patrice. A l’horizon, des nuages noirs roulent dans un air humide et froid. Même les champignons font grise mine et préfèrent rester planqués sous terre. Heureusement, rien ne semble pouvoir entamer l’enthousiasme de Patrice. Le nôtre, en revanche, est en berne et la météo annoncée catastrophique. Qu’importe ! Nous dévalons bientôt un sentier sournois avant de remonter l’étrange «Allée des sorcières», un chemin sombre fermé par une voûte d’hêtres séculaires, tous plus tordus les uns que les autres. Ceci est le résultat d’une technique d’exploitation de l’arbre : on coupe le tronc et les branches maîtresses pour provoquer des rejets voués à devenir outils, objets de vannerie, fagots, manches de pelles ou de pioches. Appelés têtards, chapoules, ragosses ou trognes selon les régions, ils finissent toujours par épouser une silhouette torturée et inquiétante, en harmonie parfaite avec le ciel d’apocalypse qui prévaut en cette sombre journée. Ils deviennent cependant rares et sont même menacés. Ils éclatent de plus en plus fréquemment sous le poids d’un houppier devenu trop important. Ils ne sont plus taillés et emportent, dans leur déchéance, le souvenir d’un long compagnonnage entre le paysan et l’arbre. Des associations tentent de tirer les survivants de l’ombre, d’autant que les troncs creux abritent un écosystème fragile et rare.

Depuis deux heures, nous n’avons pas rencontré âme qui vive, hormis un forestier solitaire et neurasthénique qui cherchait des bornes dans le sol meuble et humide. Pas de voiture sur les routes. Aucun bruit ne vient troubler l’air vif. Nous montons vers la tourbière de la Verrerie. Répertoriée, depuis 1945, comme ressource potentielle de combustible, la Verrerie n’a jamais été exploitée. On a estimé qu’elle contenait 160 000 m3 de tourbe. Sa masse d’eau, importante, s’écoule dans le bassin du Coindre (Allier) et dans celui du Lavoine (Loire). Cette tourbière révèle une très vieille histoire. Elle fut formée par l’accumulation, en couches successives, de débris végétaux dans un espace gorgé d’eau et par la croissance continue de mousses qu’on appelle sphaignes. Au fil des ans, cet amas de matière a créé un léger bombement de la tourbe. On y trouve la célèbre drosera, petite plante carnivore française qui agit sur la coqueluche et l’asthme. Sa stratégie de capture des moucherons n’est pas très spectaculaire. Ce n’est pas un mini-tyrannosaure avide de diptères hagards. Elle utilise plutôt la technique un peu veule du «papier tue-mouches», ses petites tentacules se refermant doucement sur la proie sans tambour ni trompette. Quant aux cours d’eau, ils regorgent, dit-on, d’écrevisses bien françaises. La forêt, omniprésente sur le massif, fait le bonheur d’une faune variée comme le Pic cendré ou le Sonneur à ventre jaune.

les Monts de la Madeleine sont exigeants

Sur le plateau de la Verrerie, le soleil effectue une brève apparition, laissant deviner une vue sur une plaine de bocages, de vignobles et de coteaux en pente, dévalant jusqu’aux étangs. Nous redescendons jusqu’au col de Rivière Noire par un joli sentier cheminant au coeur d’une forêt dévastée par l’ouragan de 1999. Des troncs émergent comme des chicots d’une mâchoire brisée dans le renouveau d’une jeune forêt. Dans cette région, l’homme a posé son empreinte en coteaux, vignobles et bocages mais a su rester discret. Les rencontres sont incroyablement rares. Les adeptes de la solitude seront servis, Patrice s’en porte garant !
Après ce long tour d’une quarantaine de kilomètres et 1 800 m de dénivelé, nous redescendons vers la base des Myrtilles. Avant de rejoindre la base même, Patrice nous emmène sur une colline magnétique. Les «collines magnétiques» sont des illusions d’optique dans lesquelles une pente descendante semble ascendante. En France, deux sont répertoriées. La première se situe dans la Montagne Noire, entre Minerve et Cassagnoles, dans le département de l’Hérault. Elle est connue sous le nom de «curiosité de Lauriole».

La deuxième, celle de Patrice, est une route de 300 m entre La Loge des Gardes et Renaison, près du village Les Noës. Elle est connue sous le nom de «Route magique». La sensation est vraiment étrange : la route semble monter et pourtant, à l’arrêt, le VTT se met en mouvement sans effort… Au retour, la route descend et il faut pédaler pour avancer. Ces effets d’optique de la nature produisent toujours beaucoup d’émoi et sont appréhendés, partout, avec le plus grand sérieux. On en recense plusieurs à travers le monde : el Paso Misterioso au Guatemala, le Mistery Spot à Santa Cruz (Californie), Electric Brae en Ecosse, Mysterious Road en Corée du Sud et bien d’autres… Les oies, en bons chiens de garde, signalent notre arrivée à la base des Myrtilles. Les petites chèvres gambadent dans l’herbe d’un vert camaïeu. Yolande fait mijoter dans ses fourneaux l’une des spécialités du Bourbonnais, dont elle a acquis le secret. On vient de très loin lui acheter des tartes aux myrtilles. L’Allier est vraiment un pays paisible, loin de l’agitation des foules. Il faudrait être fou à lier pour ne pas découvrir ce petit coin de France…